samedi 11 février 2006

"Moi Tarzan,toi Jane"

"À quoi ressemble l'homme idéal ? Il s'épile. Il achète des produits de beauté. Il porte des bijoux. Il rêve d'amour éternel. Il croit dur comme fer aux valeurs féminines. Il préfère le compromis à l'autorité et privilégie le dialogue, la tolérance, plutôt que la lutte. L'homme idéal est une vraie femme. Il a rendu les armes. Le poids entre ses jambes est devenu trop lourd. Certaines féministes se sont emparées de cette vacance du pouvoir, persuadées que l'égalité c'est la similitude. Aujourd'hui, les jeunes générations ont intégré cette confusion. Les fils ne rêvent que de couple et de féminisation longue durée. Ils ne veulent surtout pas être ce qu'ils sont : des garçons. Tout ce qui relève du masculin est un gros mot. Une tare. Mais la révolte gronde. Les hommes ont une identité à reprendre. Une nouvelle place à conquérir. Pour ne plus jamais dire à leurs enfants : « Tu seras une femme, mon fils." Note de l'éditeur pour le livre d'Eric Semmour, Le premier sexe.

Penser qu'un tel tissu de conneries, que des gens - et ils sont de plus en plus nombreux-, puissent encore oser dire des choses pareilles c'est relativement aberrant. Quoi que non après tout, on vit une époque de connerie. Ce livre est absolument navrant. Son seul mérite est d'être bien écrit, on ne pouvait en même temps pas attendre moins d'un journaliste réputé du Figaro (sic). J'ai beau chercher mais je n'en vois pas d'autre. L'auteur énonce avec conviction des lieux communs qu'on aurait pu croire oubliés, ou remisés dans le fin fond d'un village du Larzac, dressant un réquisitoire enflammé contre la féminisation de la société, sans s'appuyer sur aucun argument valable. Il s'agit là d'un exercice de rhétorique d'un genre nouveau, convaincre sans argumenter. Autre qualité que ses défenseurs lui trouve: ce livre est révolutionnaire, formidablement anti-politiquement correct. Comme si cela constituait une garantie d'excellence indéniable. C'est très bien de s'élever contre l'ordre établi, contre la doxa, de tenter de bouleverser les choses. Mais ça ne suffit pas. Les réacs, eux aussi, trouvent là leur seul faire-valoir.
Bref, un beau ramassis de poncifs, dont l'extrait pré-cité restitue assez bien l'inanité, et le mot est trop gentil encore.
"À quoi ressemble l'homme idéal ? Il s'épile. Il achète des produits de beauté. Il porte des bijoux. Il rêve d'amour éternel. Il croit dur comme fer aux valeurs féminines. Il préfère le compromis à l'autorité et privilégie le dialogue, la tolérance, plutôt que la lutte. L'homme idéal est une vraie femme. Il a rendu les armes. Le poids entre ses jambes est devenu trop lourd. "
Je dois dire que c'est mon passage préféré. C'est d'un tel pathétique, et à la fois d'un tel comique, que s'en est jouissif. Balancer ça pour la promotion d'un livre, c'est annoncer direct la couleur.
On remarquera le côté renseigné, scientifique, et rigoureux du passage, et comme je vous le disait, les effets de rhétorique brillants qu'il recèle. Comprendre par " valeurs féminines" les sois-disant valeurs naturelles, instinctives de la femelle: L'auteur devrait se tenir au courant, et apprendre, (s'il dit connaître ses classiques, il ne semble pas les avoir compris), qu'il a depuis bien longtemps été établi qu'il n'y avait pas de valeurs naturellement féminines, ni de valeurs naturellement masculines d'ailleurs. En effet, sans aller jusqu'à mon extrémisme existentialiste, on sait aujourd'hui, grâce à de nombreux travaux de généticiens, de sociologues, d'ethnologues, de psychologues etc... que " nous naissons mâle ou femelle (sexe biologique) mais ni masculin ni féminin, et encore moins homme ou femme"(mdr donc le"Ils ne veulent surtout pas être ce qu'ils sont : des garçons")(cf. bisexualité originelle). La virilité et la féminité sont des valeurs culturelles, et non pas naturelles (acquises et non pas innées), qui, si elles ont une raison pratique au départ( la préhistoire ça commence à faire loin quand même) n'ont eu d'autre but par la suite, que celui d'asseoir la domination de l'homme sur une femme qui s'appropriait peu à peu ses particularités réservées (la force intellectuelle puis physique, le droit de vote, etc...). Se sont aujourd'hui des notions caduques, dont la survivance fait plus de mal qu‘autre chose. Oui, la virilité s'écaille peu à peu, mais la féminité également, ce vers un nouvel ordre, plus égalitaire, mais aussi plus authentique ( si ça vous intéresse, lire à cet effet « XY: de l’identité masculine » de Élisabeth Badinter).
Mais revenons au texte, d'autant qu'il faut parler du fil rouge qui a guidé l'écriture de cette œuvre édifiante: la phallocratie de l'auteur: bravo la dévaluation de "l'identité féminine". On sent ici la nostalgie profonde de l'âge des cavernes. Ainsi, la femme est faible et calculatrice, l'homme fort et franc; tout d‘un bloc. D’où cet équilibre tout naturel: La femelle doit rester dans sa grotte, élever les gosses, et cuisiner les herbages et le gibier que le mâle est allé abattre avec sa belle massue. Non mais sans rire, quel dépôt de crasse connerie. Il faut donc promouvoir des impératifs sains, une véritable division du travail. Qu’est ce que c’est que ces hommes qui mollissent, qui ne passent plus leur temps à guerroyer, à tuer leurs prochains ( ce serait bien utile pourtant aujourd’hui, avec tout ces arabes, ces nègres, ces paydays )? C’était pourtant un exercice sain et réconfortant. Maintenant on en vient à vouloir être tolérant, parler plutôt que buter... C’est le signe manifeste de la fin.
Oh j'allais oublier la crème des crèmes: "le poids entre ses jambes est devenu trop lourd". Là on atteint les sommets. J’avoue avoir malgré tout du mal à comprendre comment on peut foutre ça dans un travail qui se veut sérieux. Ou l‘auteur a un goût prononcé pour le masochisme, ou alors, et je penche plutôt pour ça, c‘est qu‘il faut bien rester accessible pour le public visé, les beaufs, etc... Et oui la bite, cet appendice qui pend, paré d'une paire de couilles, le sceptre dispensateur de vie, le ce-que-l-on-a-de-plus-que-la-fille( qui est la cause de tant de ses complexes), se veut le dépositaire de la suprématie masculine, le saint des saints de la puissance virile, le bâton de berger qui guide la bonne famille, une preuve évidente ( "qui est-ce qui pisse le plus loin", "qui est ce qui a la plus grosse") de la primauté du mâle. C'était somme toute évident, la femme, elle, elle n'a rien, pourquoi même se poser la question de savoir lequel des deux est le plus fort? Et on y arrive, avec une belle transition par le biais d’une critique poncive du féminisme (oui oui c'est du machisme à l'envers). L'égalité ça n'est pas la similitude nous dit-on. Ben oui. On en arrive ainsi à cette proposition d'un genre nouveau : pour réintroduire l'égalité malmenée entre hommes et femmes, les hommes doivent conquérir "une nouvelle place". Et puisque l'auteur brille par sa franchise - en dépit de tout les risques qu'elle comporte, nous serinent les partisans-, il aurait pu dire "récupérer leur ancienne place", réintroduire la patriarcat, ramener la femme à la maison, l'y boucler une bonne fois pour toute, et faire taire ses stupides velléités... Et tout ça dans le sang s'il vous plaît, pas comme ces féministes, qui- mort de rire- auront fait la seule révolution non-violente de l'Histoire. Non mais ho, qui est ce qui fourre après tout?!
Enfin, enfin, si vous avez envie d'un peu de rire pour rompre avec la monotonie hivernale, achetez cet ouvrage savant et édifiant. Et pour les plus compatissants d'entre vous, ayez une petite pensée pour l'auteur, qui doit avoir un sacrée problème avec lui même. Parce qu'enfin, on n'a peur, on ne déteste que ce que l'on est réellement. La peur, la haine de l'autre, c'est la peur de soi.

2 commentaires:

Evana a dit…

Enième exemple, qui n'est pas moins triste pour autant, de la douloureuse époque que traverse la littérature...Clachik, les phrases bien tournées pour que le lecteur -qui y trouve ce qu'il a envie d'entendre de toute manière- puisse y adhérer de tout son petit être. Reste à savoir comment on va se tirer de là, parce que le prochain Jean Paul il est pas encore né...

A. a dit…

je crains que le Jean Paul en question ne naisse pas de sitôt...